Fondateur du média

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Jameson LEOPOLD est Travailleur social et Gestionnaire. Il a fait des études de maîtrise en Sciences du développement à la Faculté d’Ethnologie et en Conseil et expertise en action publique à l’Université Toulouse 1 Capitole. Il est reconnu comme consultant en migrations et réintégration (déportation, retour volontaire et fuite des cerveaux), en renforcement institutionnel (création d’organisations, élaboration et gestion de projets) et en évaluation de projets. Fort de trois années d’études en linguistique, il a fondé Plume Souveraine et occupe actuellement le poste de directeur de la communication au sein du parti Konbit Pou Demokrasi.

dimanche 8 juin 2025

En Haïti le savoir est un crime et un péché

 Par Jameson LEOPOLD 

Le professeur Leslie Manigat a un jour déclaré : « Il y a une lutte constante contre l’intelligence dans ce pays ». Effectivement, en Haïti, dès que tu obtiens ton baccalauréat, on commence à te regarder de travers ; une licence te fait perdre des amis ; avec un master, tu deviens un danger, et certains postes (ministre, secrétaire d’État) te sont désormais interdits ; avec un doctorat, tu es un homme à abattre. Dès lors, il te sera difficile d’être recteur d’université et presque impossible de briguer un poste électif.

Dès lors, un homme qui quitte l’école avant le brevet fondamental pour devenir maire, député ou sénateur, voire accéder à la plus haute magistrature de l’État, est-il forcément idiot ? Autrement dit, peut-on traiter d’imbécile celui qui, après avoir bien compris la réalité sociologique haïtienne, choisit de quitter très tôt l’école pour se lancer dans la politique ?

Pendant des décennies, on nous a bernés. On nous a fait croire qu’en tant qu’enfants du peuple, notre seule richesse devait être nos diplômes. On nous disait que lorsqu’on est pauvre, il faut être intelligent, digne et noble, que l’étude nous ouvrirait les portes de la réussite. Or, avec le temps, on découvre que tout cela n’était que mensonge dans une société où être intelligent est devenu un crime et un péché. En réalité, nous vivons dans un pays où la haine des intellectuels ronge le corps social comme une lèpre. Un pays où le savoir est sur le banc des accusés. Ainsi, il n’est pas étonnant que plus de 90 % de nos cerveaux se trouvent à l’étranger.

Dans cette logique, n’importe qui devient n’importe quoi. Un élève de secondaire I enseigne en secondaire II ; il ne parle pas un mot d’anglais, mais enseigne pourtant l’anglais ; avec une simple licence, il devient doyen d’université ; avec un master professionnel, il est nommé recteur ; il est ministre alors qu’il touche à peine à l’alphabétisation ; sans avoir jamais manié une arme, il devient garde du corps ; il est criminel notoire et pourtant siège au Parlement haïtien — en fait, c’est justement ce statut de criminel qui l’y a propulsé.

Un jour, un ami m’a dit : « Écoute frérot, si tu veux te faire un nom en Haïti, évite l’école. Au contraire, tue, pille, kidnappe, vends de la drogue : le système judiciaire haïtien te garantira toujours des juges pourris pour t’éviter la prison. Et cette presse mendiante et mercenaire ne te critiquera jamais sérieusement. Bien au contraire, elle nettoiera tes souillures, fera de toi un grand leader honnête. Toi, vermine, cancrelat d’aujourd’hui, deviendras l’ascète de demain. »

Mais alors, vous ne vous êtes jamais demandé pourquoi les émissions politiques pullulent comme des mauvaises herbes sur nos radios et télévisions ? La raison est simple : pour être analyste politique, aucun prérequis n’est exigé, sinon être un bon thuriféraire. Dans ce domaine, plus tu es inculte, plus tu fais de bruit, et plus tu es considéré comme un grand analyste. En somme, tout cela n’est que pure imposture. Ils ont fait de la politique quelque chose de vil et méprisable. Comme si la politique n’était pas une science.

Pourtant, pour animer une émission sur la santé, la psychologie, l’astronomie, le développement ou la physique, il faut avoir un niveau universitaire. Des experts sont requis pour traiter de ces questions. Or, seules les sciences politiques et éducatives sont livrées à l’amateurisme. Et cette absurdité est propre à Haïti.

Autrefois, les intellectuels pensaient pour la société. Aujourd’hui, ce sont les ignorants qui transmettent leur « savoir ». Et quel savoir ! À une époque, les ignorants se taisaient. Désormais, ils pérorent à tue-tête. Les esprits brillants sont réduits au silence, tandis que les incultes, les nuls, les brigands gouvernent. Au Palais national, les démagogues sont à la mode. Au Parlement, des illettrés rédigent des lois à l’image de leur inintelligence. Le système judiciaire est gangstérisé. À la Primature, les spécialistes de l’ânerie font la pluie et le beau temps. Et ils sont, bien sûr, les seuls nouveaux riches du pays.

Paradoxalement, face à ce constat, celui qui abandonne l’école tôt pour embrasser la politique est le plus intelligent de tous. Il sait qu’en étudiant, il n’aura jamais accès à la richesse ni au respect social. Tandis qu’en se faisant bandit et ignorant, il garantit son avenir politique et économique. Les élites viendront se prosterner devant lui. Il pourra coucher avec qui il veut, car en Haïti, avec l’argent et le pouvoir, tout est permis.

Cependant, le savoir n’a pas toujours été un crime ni un péché. Alors, qu’est-ce qui explique son nouveau statut ? Tout simplement, lorsqu’une société laisse des gens au bord de la route du développement, lorsque tout le monde n’a pas les mêmes chances, lorsque l’inégalité et l’injustice sociale sont les fondations du système, il est normal que les laissés-pour-compte nourrissent de la haine envers ceux qui savent.

Néanmoins, le jour où nous bâtirons une société juste et égalitaire, où l’instruction sera diffusée sans réserve dans toutes les couches de la population, alors, les choses changeront, et le savoir règnera de nouveau.

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