Fondateur du média

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Jameson LEOPOLD est Travailleur social et Gestionnaire. Il a fait des études de maîtrise en Sciences du développement à la Faculté d’Ethnologie et en Conseil et expertise en action publique à l’Université Toulouse 1 Capitole. Il est reconnu comme consultant en migrations et réintégration (déportation, retour volontaire et fuite des cerveaux), en renforcement institutionnel (création d’organisations, élaboration et gestion de projets) et en évaluation de projets. Fort de trois années d’études en linguistique, il a fondé Plume Souveraine et occupe actuellement le poste de directeur de la communication au sein du parti Konbit Pou Demokrasi.

vendredi 6 juin 2025

Pourquoi Donald Trump ferme la porte aux Haïtiens

Par Timofeï Egorovitch Pravdine

Alors qu’Haïti s’effondre sur les plans politique, économique et sécuritaire, il n’est guère surprenant que l’administration Trump ait choisi de restreindre sévèrement l’entrée des ressortissants haïtiens aux États-Unis. Cette orientation contraste fortement avec celle de l’administration Biden, qui s’était montrée plus tolérante à travers des dispositifs tels que le parole humanitaire ou le TPS (Temporary Protected Status). Dès lors, une question s’impose : pourquoi Donald Trump a-t-il durci sa politique migratoire envers les Haïtiens ?

Selon Trump, l’un des problèmes majeurs réside dans le taux élevé de dépassement de visa. Très peu d’Haïtiens retournent au pays après un séjour touristique ou universitaire aux États-Unis. D’ailleurs, dans la culture populaire haïtienne, il est communément admis qu’« un Haïtien ne quitte pas son pays deux fois » : une fois le visa obtenu, beaucoup cherchent à s’installer à l’étranger, souvent en dehors des cadres légaux. Cela constitue une violation des lois américaines sur l’immigration, que l’administration Trump considère comme une atteinte grave à l’intégrité du système migratoire.

Cette position s’inscrit aussi dans un contexte où l’État haïtien ne parvient plus à exercer un contrôle effectif sur son territoire. Depuis plusieurs années, le pays n’est ni administré ni gouverné. De nombreuses personnes accusées de crimes violents quittent le territoire sans entrave, transitent par des pays d’Amérique latine comme le Brésil, le Chili ou le Mexique, puis pénètrent aux États-Unis sans vérification rigoureuse. Cette absence de contrôle, combinée à l’inexistence d’un système fiable d’identification des citoyens haïtiens, suscite une inquiétude légitime chez les autorités américaines, notamment en matière de sécurité intérieure. À cet égard, il convient de rappeler que certains gangs haïtiens ont été officiellement désignés comme organisations terroristes par les États-Unis — ce qui illustre la gravité de la menace perçue et justifie, selon Washington, un renforcement des mesures migratoires.

Par ailleurs, les procédures opaques entourant la délivrance des passeports haïtiens soulèvent de vives préoccupations. Il a été établi que certains ressortissants étrangers, notamment en provenance du Moyen-Orient, ont pu obtenir frauduleusement des passeports haïtiens. Ces documents leur permettent ensuite de solliciter un visa américain sans que les autorités américaines puissent vérifier leur véritable identité ou leur parcours. Ce manque de transparence dans la gestion des documents officiels haïtiens alimente donc les soupçons et la méfiance.

À cette dimension sécuritaire s’ajoute une logique idéologique propre à Donald Trump. Depuis son irruption sur la scène politique, il affiche une préférence claire pour une immigration dite « méritée », provenant de pays riches et stables. En conséquence, il rejette l’arrivée massive de personnes peu qualifiées issues de nations pauvres ou en crise. En 2018, il avait même qualifié Haïti et certains pays africains de « shithole countries », suscitant une vive indignation. Pour lui, le fait que des milliers d’Haïtiens aient obtenu une protection humanitaire sous l’administration Biden constitue une humiliation. C’est pourquoi il s’oppose également au renouvellement du TPS pour les Haïtiens.

Dans ce contexte, une question essentielle se pose : que peut faire Haïti pour sortir de cette impasse ?Il est encore possible d’inverser cette dynamique, à condition d’engager des réformes profondes et cohérentes. En premier lieu, le pays doit moderniser son administration, notamment les institutions chargées de l’état civil, des passeports et de l’immigration. L’introduction de technologies biométriques, la création de bases de données fiables et la transparence dans la délivrance des documents officiels constituent des étapes incontournables.

Parallèlement, Haïti doit renforcer sa coopération avec les États-Unis en matière de sécurité et de justice, tout en travaillant sérieusement sur le contrôle de ses frontières. Il est également crucial de s’attaquer aux causes profondes de la migration irrégulière : pauvreté endémique, chômage massif, manque d’opportunités académiques et professionnelles, insécurité chronique, corruption généralisée. Tant que les jeunes ne verront pas d’avenir dans leur pays, ils continueront à chercher à partir — légalement ou non.

Il devient aussi urgent de revoir en profondeur la diplomatie haïtienne, affaiblie par le népotisme et l’incompétence. Trop souvent, les postes sont attribués non sur la base de compétences, mais en raison de relations personnelles ou intimes avec des politiciens. Ce dysfonctionnement nuit gravement à la capacité d’Haïti de défendre sa cause sur la scène internationale. À l’inverse, une diplomatie plus professionnelle, soutenue par un lobbying efficace de la diaspora, pourrait contribuer à rétablir un dialogue constructif avec les autorités américaines.

Enfin, il est impératif de sensibiliser la population haïtienne à la nécessité de respecter les lois migratoires. Un visa étudiant implique un retour après les études ; un visa touristique autorise un séjour limité. S’installer illégalement aux États-Unis après l’obtention d’un visa affaiblit non seulement la position du migrant, mais aussi les relations bilatérales entre les deux pays. Il faut comprendre que les comportements individuels ont des conséquences collectives durables.

Sortir d’une liste noire migratoire n’est jamais simple, mais ce n’est pas impossible. Haïti peut y parvenir si elle démontre une volonté réelle de réforme, de coopération et de reconstruction. En définitive, cette situation ne doit pas être perçue comme une fatalité, mais comme une occasion de repenser notre rapport à l’État, à la migration et à notre souveraineté. Ce combat exige une mobilisation à tous les niveaux : politique, institutionnel, citoyen et international.

3 commentaires:

  1. Mes félicitations pour ce texte instructif

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  2. Toutes mes félicitations, bro. Réflexion profonde, malgré les jeunes d'aujourd'hui qui ne s'intéressent plus à la lecture.

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    1. Ils sont interessés à quoi selon toi ?

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