Un jeune Blanc de 20 ans, originaire de l’Est, part étudier à l’Ouest. À son arrivée, on lui parle de modernité, de civilisation, de progrès. On lui dit que chez lui, les choses ne sont pas vraiment développées. Il écoute, surpris qu’on ose comparer des sociétés aux histoires si différentes, comme si un seul modèle devait s’imposer partout.
On tente de le séduire : Paris et ses lumières, Rome et ses ruines, les musées de Londres, les plages de la Côte d’Azur, les bars de Berlin. Il observe, savoure, respecte. Il admire, mais ne s’abandonne pas. En lui, ses racines tiennent bon. Ni les gratte-ciels ni les galeries n’effacent la mémoire de ses ancêtres, ni les luttes silencieuses de ses grands-parents.
Quand on critique l’Est — trop froid, trop fermé, trop vieux — il garde le silence. Non par faiblesse, mais par patience. Il attend le bon moment. Et ce moment vient : juste avant le diplôme, il prend la parole. Il dit que l’Est aussi a rêvé, construit, aimé. Qu’il a souffert, certes, mais aussi inventé, offert au monde des œuvres, des idées, des hommes debout. Et qu’il continue encore, malgré tout.
Diplômé, il rentre. Pas par nostalgie, mais par dignité. Il refuse de laisser sa terre se vider de ses forces vives. Il revient, non comme un vaincu, mais comme un homme libre, porteur d’un devoir de mémoire et d’un espoir à bâtir.
À l’autre bout du monde, un petit nègre, élevé trente ans dans la misère, obtient un visa d’étudiant. Il monte pour la première fois dans un avion, découvre les autoroutes, les trains à grande vitesse, les vitrines étincelantes. Tout l’éblouit : l’ordre, l’abondance, la beauté propre de l’Occident. Il croit enfin toucher au rêve.
Mais bientôt, la violence symbolique le rattrape. On insulte ses ancêtres, on traite Dessalines — son héros, le libérateur de son peuple — de barbare. Et lui, il ne répond pas. Il baisse les yeux. Il sourit même, mal à l’aise. Le doute s’installe.
Les années passent, et l’admiration tourne au rejet. Il devient plus dur envers Dessalines que ceux qui l’ont calomnié. Il cite Napoléon avec ferveur, critique ses propres héros avec amertume. Il parle de liberté, mais ignore ceux qui l’ont conquise. À son retour en Haïti, il veut être moderne, éclairé, rationnel — mais il ne voit dans son peuple que des erreurs à corriger, jamais une force à aimer.
Dessalines, pour lui, devient un « petit con ». Le colon est parti, mais l’aliénation est restée. En silence, elle a grandi en lui, jusqu’à effacer toute fierté.
Jameson LEOPOLD
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