Le marxisme classique a toujours placé la lutte des classes au cœur de l’histoire. Dans les sociétés communistes telles que l’URSS, la Chine maoïste ou Cuba castriste, l’objectif affiché était la suppression des classes et la création d’une société égalitaire. En abolissant la propriété privée des moyens de production, on croyait effacer les inégalités économiques. Mais cet idéal n’a jamais signifié la fin des discriminations raciales ou culturelles (Balibar & Wallerstein, 1990). Car si le capitalisme fabrique des inégalités sociales, le communisme n’a pas su désarmer les préjugés raciaux profondément enracinés.
Prenons l’exemple de l’Union soviétique. Officiellement, l’URSS se voulait "fraternelle", prônant l’internationalisme socialiste. En pratique, les populations asiatiques ou caucasiennes (Ouzbeks, Tadjiks, Tchétchènes, Arméniens) ont souvent été stigmatisées. Staline est allé jusqu’à déporter en masse certains peuples — Tatars de Crimée, Tchétchènes, Ingouches — sous prétexte de trahison durant la Seconde Guerre mondiale (Martin, 2001). Ces politiques n’étaient pas présentées comme racistes, mais comme des mesures de sécurité. Or, elles révélaient une hiérarchisation ethnique implicite, où le Soviétique modèle restait européen et russophone.
En Bulgarie, satellite de l’URSS, cette logique a pris une tournure ouvertement assimilationniste. Le régime de Todor Jivkov, dans les années 1980, a mené une politique de "renaissance nationale" forçant les Turcs bulgares à adopter des noms slaves, interdisant leur langue et niant leur culture (Neuburger, 2004). Cette politique a provoqué l’exil de près de 300 000 personnes vers la Turquie. Les Roms, eux, restaient confinés à des emplois subalternes et invisibilisés dans l’espace public. Le communisme bulgare, au nom de l’unité nationale, masquait mal un nationalisme ethnique majoritaire.
À Cuba, la révolution castriste de 1959 s’est présentée comme une rupture radicale avec le racisme. Fidel Castro proclamait que le racisme avait été "éradiqué par décret". Pourtant, selon De la Fuente (2001), les Afro-Cubains sont restés sous-représentés dans les institutions, cantonnés à des emplois précaires, et exclus des réseaux de pouvoir. Le racisme a simplement changé de visage : il est devenu tabou, non-dit, mais toujours actif. Les quartiers les plus pauvres de La Havane sont aujourd’hui majoritairement noirs. Derrière le discours révolutionnaire, la hiérarchie raciale n’a pas disparu — elle s’est simplement tue.
La Chine maoïste offre une autre illustration. Mao Zedong prétendait construire une société sans classes, mais dans les faits, l’ethnie majoritaire Han a imposé ses normes. Les Ouïghours, Tibétains ou Mongols étaient perçus comme "arriérés", "non-éduqués", ou "obstacles au progrès" (Sautman, 2000). Le centralisme culturel a marginalisé leurs langues, leurs traditions et leurs identités. Le racisme ne s’exprimait pas avec des insultes, mais par l’exclusion systématique du modèle national dominant.
Dans tous ces cas, la disparition des classes sociales n’a pas entraîné celle du racisme. L’erreur du communisme fut de croire que l’économique suffisait à tout régler. Or, la race est une construction sociale autonome, avec sa propre logique, ses institutions, ses traumatismes et ses mécanismes de reproduction (Gilroy, 1993). En réalité, qu’ils soient communistes ou capitalistes, les États ont rarement engagé une remise en cause structurelle du racisme. Leur unique réponse a souvent été la mise en place de programmes d’"intégration", supposant que les minorités s’adaptent à la norme dominante, sans que celle-ci soit questionnée. Cette stratégie d’intégration, qui prétend inclure sans transformer, s’avère souvent insuffisante pour combattre des hiérarchies raciales profondément enracinées.
En conclusion, les sociétés communistes ont parfois renversé l’ordre économique, mais elles ont rarement déconstruit les logiques raciales héritées du colonialisme et du nationalisme. Le projet révolutionnaire reste incomplet tant qu’il ne place pas la lutte contre le racisme au même rang que la lutte des classes. Pour libérer pleinement l’homme, il ne suffit pas de briser ses chaînes économiques : il faut aussi briser les miroirs déformants du regard racial.
📚 Bibliographie
Balibar, Étienne & Wallerstein, Immanuel. Race, nation, classe : Les identités ambiguës. La Découverte, 1990.
De la Fuente, Alejandro. A Nation for All: Race, Inequality, and Politics in Twentieth-Century Cuba. University of North Carolina Press, 2001.
Gilroy, Paul. The Black Atlantic: Modernity and Double Consciousness. Harvard University Press, 1993.
Martin, Terry. The Affirmative Action Empire: Nations and Nationalism in the Soviet Union, 1923–1939. Cornell University Press, 2001.
Neuburger, Mary. The Orient Within: Muslim Minorities and the Negotiation of Nationhood in Modern Bulgaria. Cornell University Press, 2004.
Sautman, Barry. “Is Xinjiang an Internal Colony?” Inner Asia, vol. 2, no. 2, 2000, pp. 239–271.
Vladimir Guerrero
This article is sponsored by
Dalia Store Online,
Pati Konbit Pou Demokrasi,
and
Caëlle Edmond – SOS Solitude.